Il y a plusieurs mois, j’ai intégré une association, Les Visites Sourires, qui met en relation des personnes âgées isolées et des bénévoles. Accompagnée d’une autre bénévole, je rencontrais chaque mois une dame âgée, Madame P, dans un hameau à quelques kilomètres de Granville.
Elle habite seule depuis la mort de son mari. Sa famille l’entoure beaucoup, elle a cette chance par rapport à d’autres anciens que je connais. L’hiver dernier, sa dernière voisine proche a déménagé.
Lorsque nous venions la voir, elle avait toujours le sourire, une petite étincelle dans les yeux. Elle nous attendait dans sa cuisine, accoudée à la table recouverte d’une toile cirée. Elle nous laissait nous installer car elle avait beaucoup de mal à marcher. Elle suivait l’actualité, elle était abonnée à la Manche Libre, à Notre temps et prenait plaisir à regarder les jeux à la télévision. Les murs de sa cuisine étaient tapissés de photos de famille et plusieurs orchidées fleurissaient à côté de l’escalier. Comme le disait une connaissance commune, l’essentiel était là.
Nous pouvions parler de choses et d’autres pendant deux heures sans voir le temps passer. Nous proposions toujours de faire un jeu de société mais ce que voulait cette dame, c’était parler, bavarder. Elle pouvait évoquer le bombardement de la gare ferroviaire toute proche à la libération comme d’échanger sur les élections municipales. Elle n’oubliait jamais de nous offrir un café ou un jus de fruit avec des gaufrettes au chocolat.
Après Noël, elle nous a confié qu’elle s’ennuyait beaucoup, qu’elle allait demander à rentrer dans une maison de retraite. Ne plus avoir de voisines avec qui parler lui pesait. Ses enfants ont accédé à sa demande et elle a été sur liste d’attente assez rapidement.
Bien sûr le confinement n’a pas facilité les choses. En tant que bénévoles, nous ne pouvions plus la voir comme nous en avions pris l’habitude. A tour de rôle, mon amie et moi l’avons appelé chaque semaine pour prendre de ses nouvelles mais cela ne remplace pas une présence.
Lorsque la situation sanitaire l’a permis, elle a pu intégrer un EHPAD à quelques kilomètres de son lieu d’habitation. En un sens, elle a eu de la chance car sa demande a été prise en compte assez vite, hormis la phase COVID, et elle a pu être accueillie dans l’établissement qu’elle souhaitait. Une chance… d’un certain point de vue.
Cette semaine, j’ai pu enfin la revoir dans cette structure. Je n’étais pas entrée dans un EHPAD depuis plus de 10 ans. J’en ai un très mauvais souvenir et je me suis retenue de ne pas partir en courant… Il y avait des masques et du gel hydroalcoolique à l’entrée mais je n’ai vu personne hormis une vingtaine de résidents, sur la gauche du hall. Ils étaient installés dans leurs fauteuils avec un écran de télévision allumé. Certains somnolaient, la tête penchée sur le côté, d’autres avaient le regard vague, perdu.
J’ai dû prendre mon courage à deux mains pour rester et chercher un membre du personnel pour m’indiquer le numéro de chambre de Madame P. Malheureusement, il n’y avait personne. Une affiche scotchée sur le comptoir précisait que la personne responsable de l’accueil était en vacances jusqu’au 28 juillet.
J’ai essayé de trouver quelqu’un d’autre, je n’avais pas vu le panneau d’affichage avec les noms des résidents et leurs numéros de chambre à côté de la porte d’entrée. Quelques minutes plus tard, une dame en fauteuil est sortie de l’ascenseur. Une autre dame, plus jeune, avec un masque poussait son fauteuil et lui a gentiment dit « je vous installe ici ? ça va aller ? » et lorsqu’elle a répondu, j’ai reconnu la voix de Madame P. En 3 mois, elle avait maigri, le fauteuil aussi changeait sa façon de se tenir, je ne la reconnaissais pas.
Je me suis dirigée vers elle et je me suis penchée en me présentant. Elle non plus, ne m’a pas reconnu tout de suite. J’ai dû baisser rapidement mon masque pour qu’elle identifie mon visage. Après avoir salué sa belle-fille, nous avons essayé de nous isoler pour discuter mais avec la télévision et le masque, elle avait du mal à me comprendre. Nous avons échangé quelques banalités mais Madame P était abattue, triste, elle ne relançait pas la conversation comme elle avait l’habitude de le faire et je ne parvenais plus à trouver de sujets à aborder.
Je vois alors une autre bénévole accompagnant un monsieur en fauteuil. Elle sortait avec lui faire une promenade dans le parc. Ce parc fleuri me semblait une bonne occasion de promenade mais Madame P a refusé. Elle n’avait pas de gilet, et non… elle n’avait pas envie de sortir. Je lui ai donc demandé si elle voulait faire une partie de Triominos et un peu lasse, elle a accepté.
J’ai demandé à une autre résidente s’il y avait une salle de jeux et très gentiment elle nous a conduit dans une petite salle à l’écart, au calme et elle s’est jointe à nous pour jouer. C’est à ce moment que j’ai croisé une salariée qui nous a bien sûr autorisé à jouer dans cette salle.
Pendant une heure, j’ai eu l’impression de retrouver un peu la personne que je connaissais. Elle suivait le jeu, parvenait à placer ses Triominos au bon endroit. Ce moment a été une vraie parenthèse et j’étais contente d’avoir pu retrouver cette complicité. Mais lorsque j’ai dû partir, elle a eu les larmes aux yeux et rien qu’à repenser à son regard, c’est moi qui ai envie de pleurer maintenant. J’aurais aimé la prendre dans mes bras, l’embrasser mais bien sûr, ce n’était pas envisageable avec ce virus qui continue de roder. Je lui ai promis de revenir mais je ne sais pas si elle a encore la notion du temps depuis qu’elle est dans cette institution.
En EHPAD, vous attendez les horaires de repas, vous attendez la toilette, vous attendez les animations et vous attendez les visites si vous avez la chance d’en avoir. Cet établissement était très bien tenu, les salariées que j’ai croisées ensuite étaient polies, souriantes. Pourtant cela m’a déchiré le cœur de partir, de la laisser là, prête pour le dîner servi à 18h30.
Pourquoi est-ce que j’étais si mal ? Parce que L’EHPAD, c’est l’antichambre de la mort.
Votre maison, votre voiture peut l’être tout autant bien évidemment comme un lit d’hôpital. Mais lorsque vous quittez la maison où vous avez vécue pendant plusieurs décennies pour entrer en maison de retraire, c’est fini. Vous savez que vous ne retournerez jamais chez vous. Vous allez perdre le peu d’indépendance qui vous restait, c’est ainsi. Le manque de personnel, le peu d’intérêt que nous avons pour nos aînés, le coût que cela représente, tout cela contribue à cet état de fait.
Nous devons repenser le système d’hébergement du 4ème âge, nous sommes les personnes âgées dépendantes de demain et non, je ne veux pas voir ma mère en EHPAD ni y être inscrite moi-même un jour.
Quelle est l’alternative ? Des structures plus petites ? De la colocation intergénérationnelle ?
Plusieurs projets existent comme celui des Babayagas à Montreuil ou les Marpas. L’année dernière la commune d’Ouville, petite commune de 496 habitants, a créé 11 logements seniors, les Lys Bleus, avec une salle de convivialité. En général, ces structures sont adaptées pour des personnes qui ne sont pas en perte d'autonomie. L'idéal serait de garder son indépendance mais avoir des salles communes où déjeuner, jouer, regarder un film ensemble, accueillir des visiteurs dans un espace gai, convivial avec suffisamment de personnel pour chaque résident. Et vous ? comment voyez-vous l’EHPAD du futur ?
En attendant une prise de conscience sur l’hébergement des personnes âgées dépendantes, si vous avez 1 ou 2 heures par mois, engagez-vous comme bénévole et allez voir ces personnes âgées qui avant d’être vieilles étaient des hommes et des femmes comme vous et moi. Ce n’est pas un grand sacrifice et cela représente beaucoup pour elles, je l’ai vécu. Alors, certes, cela fait peur et nous renvoie à notre propre vieillesse, notre propre mort mais c’est un engagement fort, utile.
De même, si dans votre voisinage vous connaissez une personne âgée, isolée, parlez-lui des visites sourires. Il suffit de contacter le SAG votre mairie pour être mis en relation avec une personne du SAG.
Merci à Michèle qui m’a donné cette idée d’article et merci à Edith qui m’a aidé à le finir.
J’espère qu’il vous sera utile ainsi qu’à vos proches. Pour vous inscrire à la newsletter, cliquez ici et merci pour vos retours sur la page Facebook de Risaée ! 😀