Pour rendre hommage aux 11 millions de proches aidants dont la journée mondiale est le 6 octobre, j’ai recueilli le témoignage d’une amie. Nous l’appellerons Marianne. Elle a accompagné ses parents puis sa mère seule de 2001 à 2020. J’ai retranscrit notre entretien tel qu’il s’est déroulé.
Marianne, où habitais-tu en 2001 ?
J’arrivais de région parisienne, je venais d’obtenir une mutation professionnelle dans la Manche. J’étais très attachée à cette région et je voulais y vivre avec mon mari. Nous avons déménagé à 20 minutes de Saint-Pair-sur Mer où habitaient mes parents. C’était un lieu chargé de souvenirs. Nous y sommes allés souvent en vacances et de nombreuses fêtes de famille s’y sont déroulées.
Leur maison était assez isolée, un grand champ marquait l’entrée de la propriété. Un verger et un potager avaient été mis en place par mon père. Cela devenait difficile à entretenir. Mon mari a rapidement apporté son aide pour les espaces verts. Mon père est décédé en 2006 et nous sommes devenus des aidants familiaux sans nous en rendre compte.
Comment as-tu endossé ce rôle d’aidant ?
Cela a commencé petit à petit, après le décès de mon père. Mon frère et mes deux sœurs habitaient à plusieurs centaines de kilomètres. Nous étions les plus proches et nous ne nous sommes pas vraiment posé la question de devenir « aidants », cela nous semblait logique.
J’ai d’abord pris en charge les grosses courses. Ma mère a passé son permis à l’âge de 60 ans pour garder son autonomie. Mais en 2010, alors âgée de 86 ans, elle a renoncé à conduire.
Il y avait un petit bus municipal qui lui permettait d’aller en centre-ville, situé à 30 mn à pied de son domicile. Cependant, c’était plus compliqué pour aller chez le coiffeur ou à la messe chaque dimanche.
J’ai ensuite pris en charge le suivi des démarches administratives. Elle n’était pas en situation de handicap ni de dépendance. C’était une personne âgée qui avait besoin de compagnie. Elle désirait rester à son domicile le plus longtemps possible.
Pour la soulager de l’entretien de la maison, une aide-ménagère via l’ADMR puis Granville santé était présente depuis de nombreuses années. En revanche, ma maman a cuisiné elle-même ses repas jusqu’à l’âge de 92 ans. Elle m’a, d’ailleurs, transmis l’art de faire des confitures et des gelées.
Avez-vous bénéficié d’aides ? de formation ?
Ma mère n’était pas éligible pour les aides financières comme l’APA (allocation personnalisée d’autonomie). Je n’étais pas consciente d’avoir besoin d’aide moi-même, de soutien moral et de répit à l’époque. Je ne connaissais pas les cafés des aidants ni les groupes de paroles.
J’étais salariée jusqu’en 2013, c’était difficile de concilier ma vie personnelle et sociale et mon activité professionnelle. Je faisais des détours plusieurs fois par semaine entre mon domicile et mon lieu de travail pour aller voir ma mère. Année après année, nous avons été de plus en plus présents, mon conjoint a été très compréhensif.
Ma mère avait peur, seule, dans sa maison surtout le soir. Nous avions convenu qu’elle m’appellerait chaque soir pour m’assurer que ses volets étaient bien fermés… Nous allions passer tous nos dimanches avec elle pour dîner, jouer au Scrabble ou regarder le film. Cela pendant plus de 9 ans.
Comment as-tu trouvé cette association qui proposait une colocation intergénérationnelle ?
En 2015, j’ai trouvé l’association L.I.E.N, située à Caen, grâce à Internet. Je n’étais vraiment pas rassurée de savoir ma mère seule à 90 ans passés. Je craignais qu’elle ne tombe et qu’elle se blesse. Cette association mettait en relation des seniors isolés et des jeunes étudiants. La personne âgée proposait une chambre dans sa maison contre des menus services et une présence quotidienne.
Après discussion avec ma mère, qu’il a fallu convaincre du bien-fondé de cette «co-location », et une discussion avec mon frère et mes sœurs, nous en sommes arrivés à la conclusion que c’était un très bon compromis qui nous rassurait tous. Malheureusement, la jeune fille choisie n’a pas tenu ses engagements. Je me suis rendu compte qu’elle n’était pas présente certaines soirées et nuits (sans m’en avertir) et laissait ma mère seule. Nous avons donc renoncé à cette solution.
L’aide à domicile n’était pas suffisamment présente. Il fallait aussi vérifier son travail ce qui ajoutait une charge mentale supplémentaire.
Avec le reste de la famille, nous avons proposé à ma mère d’aller en Ehpad mais elle y était fermement opposée. Elle reconnaissait qu’elle ne pouvait plus rester seule mais il était hors de question d’aller en maison de retraite. Sous son apparente douceur, ma mère avait un fort caractère, elle parvenait toujours à ses fins. Elle souhaitait que je m’installe chez elle avec mon mari ce que nous avons, bien sûr, refusé.
Elle a alors proposé de venir s’installer chez ses enfants à tour de rôle, tous les deux mois ½. Elle avait hébergé sa propre mère à l’époque avec ses deux sœurs, cela lui semblait naturel que nous, ses enfants, fassions de même. Nous nous sommes concertés entre enfants et, avec le soutien de nos conjoints respectifs, nous avons accepté.
Quelle a été l’organisation mise en place pour accueillir votre mère chez vous ?
Ma mère avait son itinéraire. Elle séjournait d’abord chez nous dans la Manche, puis chez mon frère en Bretagne. Ensuite on l’emmenait en voiture ou elle prenait l’avion pour aller chez ma sœur à Albi et elle terminait son tour des enfants en Corrèze et ainsi de suite...
J’avais établi un planning en accord avec mon frère et mes sœurs. Je voulais que la cohabitation soit équitable et que la même personne n’ait pas la charge de notre mère tout l’été par exemple.
Elle avait une capacité d’adaptation extraordinaire, elle avait alors 92 ans… Dès 10h00 du matin, elle me demandait ce qu’elle devait éplucher comme légumes et participait à la préparation des repas. Nous avons essayé d’adapter notre maison à ses besoins, nous n’avions pas de douche par exemple. Nous avons installé des tapis antidérapants dans la baignoire et elle s’en est bien accommodée.
Elle ne s’est jamais plainte de la façon dont nous l’accueillions. Elle n’a jamais critiqué ni commenté nos choix de vie. C’était son choix d’être auprès de ses enfants, elle l’assumait. Pour moi, c’était plus difficile. J’ai vraiment appris à connaître ma mère à cette époque-là. J’avais le sentiment d’être encore une enfant. Lorsque j’affirmais quelque chose, elle me répondait souvent : « Tu es sure ? » d’un air suspicieux.
La seule chose sur laquelle je n’ai pas cédé, c’était de l’accompagner à la messe. Mon mari s’est proposé volontiers et il emmenait un bon roman pour patienter.
Comment cette expérience de colocation intergénérationnelle s’est-elle terminée ?
Ma mère a fait ces différents séjours chez nous tous d’avril 2016 jusqu’à mi-novembre 2018. Lors d’un de ses déplacements, le vol a été annulé. Elle a passé plusieurs heures à attendre pour se retrouver avec un vol avec escale, d’où une arrivée en Bretagne à minuit ! Cela a sonné la fin de cette itinérance.
Elle a accepté alors de séjourner deux mois ½ en Ehpad en hébergement temporaire. Finalement une place s’est libérée au mois de janvier 2019. Dans cet établissement, ma mère n’avait plus à s’occuper du ménage ni de la préparation des repas. Il ne lui restait que quelques loisirs et la gestion de ses médicaments que le personnel médical a fini parlui retirer.
Heureusement, elle avait retrouvé là-bas une connaissance et est, elle-même, devenue "aidante" pour cette personne qui était désorientée. Elle participait à l’épluchage des légumes qui avait été mis en place par l’animateur, elle lisait beaucoup, faisait des mots fléchés…
Ensuite, le premier confinement est arrivé et nous n’avons pas pu la voir pendant plusieurs semaines. Des séances « Skype » avaient été mises en place avec des heures de rendez-vous. Se voir par écran interposé a beaucoup aidé pour rompre cet isolement. Elle est restée dans cette maison de retraite jusqu’à son décès, le 24 août 2020. Elle avait presque 96 ans.
Comme beaucoup d’enfants, nous avons vraiment culpabilisé de l’avoir placée en résidence seniors. Nous avons fait notre maximum pour retarder cette échéance mais cela reste un souvenir encore douloureux…
Quels conseils donnerais-tu à des proches aidants ?
J’aurais trois recommandations :
- Mesurer l’engagement que cela représente
- à long terme
- et se demander si l’on en sera vraiment capable. Il faut avoir aussi la pleine acceptation de son conjoint.
- Apprendre à mettre des limites. L’aide à la personne commence par des petits services mais il faut avoir conscience que cela sera « toujours plus ».
- Préserver son couple, prendre soin de soi.
Je tenais encore à remercier Marianne pour sa confiance. Cela fait un peu plus d’un an que sa mère est décédée, parler d’elle a fait surgir des bons comme des mauvais souvenirs. Son expérience est riche d’enseignement et j’espère que cela vous aidera si vous êtes vous-même aidant(e).
Accompagner un proche handicapé ou en perte d’autonomie est une expérience très difficile. Des groupes de soutien existent, des plateformes financées par les caisses de retraite ou les mutuelles peuvent vous accompagner et vous former.
Je vous recommande aussi ce nouveau podcast « Bonjour Fred » avec des témoignages audios de proches aidants.
Si vous avez des conseils, d'autres témoignages à apporter, n'hésitez pas à commenter cet article dans le blog de Risaée.
A très vite !